Du plan social et du reclassement…..
Le mardi 6 novembre le journal le Monde titre en page une : « La France frappée par plus de 1000 plans sociaux en un an. » Je n’apprécie pas ce genre de titre, à mille lieux d’une véritable information, il vise seulement à jouer sur l’émotion du lecteur : « Mon dieu, 1000 plans sociaux ! Le chômage va encore augmenter ! C’est la catastrophe ! ». Les dirigeants d’une entreprise ne décident pas un plan social par plaisir, et un plan social comporte toujours sa part de drame pour les salariés touchés. Personnellement, comme en regard de ce titre alarmiste, j’aurais mieux apprécié que Le Monde présente et commente les résultats de l’enquête lancée en juin dernier par Les Ateliers de la Convergence, sur un élément-clé de la législation française des licenciements : l’obligation de reclassement. Cette enquête, la première au plan national, a été lancée en partenariat avec Liaisons sociales et l’Association nationale des Directeurs des ressources humaines. Elle questionne sur les pratiques suivies par les sociétés en matière de mesures de reclassement. Vous découvrirez les résultats de cette enquête très intéressante, en consultant le site des Ateliers : www.ateliersdelaconvergence.com Pour ma part, je voudrais juste émettre quelques remarques autour de la notion de « reclassement » à la française, pivot du plan social, et de certains aspects de l’enquête. *** 1- Un même terme pour deux concepts différents La loi parle de reclassement interne et externe. Or, pour moi, on ne peut pas mettre les deux mesures sur le même plan, interne/externe, et usant d’un même mot pour deux opérations différentes, il me semble que le législateur induit les salariés et leurs représentants en erreur. - En interne, les postes proposés au reclassement existent, ils sont répertoriés, simplement, ils ne font pas exactement appel aux mêmes compétences que les postes supprimées, et ils ne sont pas forcément situés dans le même lieu que les postes supprimés. Pour agir dans le sens du reclassement, l’entreprise doit vérifier que les compétences des salariés restructurés correspondent à celles des postes disponibles, ou qu’ils sont aptes à les acquérir. Le congé du même nom correspond au temps nécessaire pour faire cet inventaire et assurer la formation adéquate. Mais il est aussi nécessaire pour convaincre les salariés et leurs familles de l’intérêt de leur mobilité géographique. D’après l’enquête, 9% seulement des salariés visés par un plan bénéficient d’un reclassement interne. Difficile de dire si c’est peu ou beaucoup : pour une entreprise disposer de postes à proposer au reclassement interne quand, dans le même temps, elle se propose d’en supprimer, n’est pas forcément évident. Dans la mesure où ce reclassement s’accompagne d’une mobilité géographique, la partie n’est pas gagné d’avance, nous vivons dans un pays où la notion de mobilité géographique est tout sauf acquise, (parfois même si la mobilité est de quelques dizaines de kilomètres, même si elle est prévue pour une durée déterminée, avant un départ en retraite par exemple) « Depuis que je travaille, tous les jours pour aller travailler je suis passé devant l’église de mon village, il n’y a pas de raison pour que ça s’arrête » (sic). Mais une chose est sûre, pour convaincre le salarié d’accepter poste « ailleurs », et d’embarquer dans l’aventure toute sa famille, l’entreprise doit avoir sensibilisé ses salariés –et leurs représentants- à cette notion de mobilité en développement des actions et des outils cohérents, en termes de carrière et de mesures d’accompagnement à la mobilité, et pour toutes les catégories : les vertus de la mobilité ne se révèlent pas la veille de l’annonce du plan. Pour moi, l’obligation de reclassement interne, au sens juridique du terme, doit s’arrêter aux frontières, comme le droit national, puisque l’Europe sociale n’existe pas, l’Europe ne dispose pas des règles uniques régissant le travail dans les 27 pays. - Vis-à-vis de l’extérieur, la société n’a pas d’obligation de reclassement à proprement parler, elle doit seulement mettre en place des mesures destinées à faciliter ce reclassement, ce n’est pas la même dynamique qui est à l’œuvre.
Utiliser ce mot est donc particulièrement malencontreux : il fait croire que la société a un pouvoir en matière de reclassement, il donne à penser qu’elle a une obligation, et le salarié un droit à l’égard de l’entreprise. En bref, l’emploi de ce terme détourne du vrai sujet, et estompe la responsabilité respective des différents acteurs: la société doit définir et mettre en œuvre des moyens d’action pour préparer et accompagner le salarié dans sa recherche d’un nouvel emploi, le salarié doit faire le bilan de sa carrière, décider une orientation, et trouver son nouveau poste de travail. Dans ce cadre, la mise en place de la Cellule Emploi est une mesure de base : on ne s’étonne pas que 92% des entreprises interrogées jugent la mesure utile. Elle l’est, mais à condition que l’entreprise ne se défausse pas totalement sur un cabinet spécialisé. Elle connait ses salariés. Le cabinet a son utilité, parce qu’il dispose d’un savoir-faire, et d’un réseau local. 2- Les indemnités extra-légales, nous révèle l’enquête, sont prévues dans 75% des plans. Mais la moitié des entreprises qui les versent ne les considèrent pas très utiles. Je suis tout à fait d’accord, sauf cas exceptionnel, ce ne sont pas des mesures facilitant le retour à l’emploi à l’extérieur. Peut-être même le freine-t-elle donnant aux « bénéficiaires » l’impression qu’ils ont le temps « de voir venir ». Dès lors, inclure de telles indemnités dans un plan social, sachant qu’on n’y croit pas, ne serait-ce pas une fuite en avant pour se sortir de la négociation du PSE, une dérobade en termes de responsabilité. Même si les salariés et leurs représentants les demandent, parfois avec force, et considèrent comme une victoire le fait d’en obtenir. Ce n’est au mieux qu’un baroud d’honneur.
3- Enfin – et cela m’étonne- à aucun moment, on ne parle de la mise en place de cellule psychologique et du rôle qu’elle peut jouer, pour chacun des acteurs, Direction, salariés, ceux qui sont touchés par la restructuration, mais aussi ceux qui conservent leur poste, représentants du personnel, cabinet extérieur. Par expérience, je pense que c’est la première mesure qui devrait figurer dans un plan social : une restructuration, et un licenciement dans une vie professionnelle, c’est un changement majeur, qui en annonce d’autres. Ouvrir à tous la possibilité de parole avec un psychologue, c’est une nécessité absolue, c’est un prélude à la maîtrise de la peur du changement.
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Bien sûr cette première enquête n’aborde pas toutes les questions qui se posent autour des restructurations, des plans sociaux et du reclassement. Nul doute que les prochaines s’élargiront à d’autres thèmes : • la communication (faut-il parler de la restructuration en interne ou pas ? comment ?), • l’implication des managers au moment d’une restructuration, ceux dont le service ou le département est concerné, ou non, • la typologie des salariés reclassés, notamment en fonction de l’âge, au-delà de ce qu’on peut lire dans les accords au-delà de ce qu’on peut lire dans certains accords sur le contrat de génération. A suivre…
Bertrand Lumineau
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